Écologie du livre : la transition passe par l’expérimentation collective

Article de Fanny Valembois, éco-conseillère, Le Bureau des Acclimatations

Dessin © Julien Revenu

Fanny Valembois © DR
*En référence au texte de Jean-François Manier publié chez Cheyne éditeur.

 

 

 

 

 

 

**La recherche-action est une méthode qui vise à la fois à transformer la réalité et à produire des connaissances sur ces transformations.

Changer de pratiques, oui, mais comment ? Face à l’ampleur des défis, pas simple de savoir par où commencer. Les démarches d’expérimentation collective peuvent proposer un cadre stimulant pour se mettre en mouvement. En voici quelques exemples.

Trêve des nouveautés : un retour à l’éloge de la lenteur*

Quatre jours par semaine, toute l’année, les librairies reçoivent les nouveautés qu’elles ont commandées. En 2024, on a publié en France 65 535 nouveaux titres, soit en moyenne 313 titres différents chaque jour, parmi lesquels les libraires doivent faire leur choix. De ces flux de nouveautés, 68 % sont renvoyés aux éditeurs, et une part importante est pilonnée, pour faire de la place pour d’autres titres. Selon le Syndicat national de l’édition, cela représente en moyenne 26 000 tonnes de livres neufs détruits tous les ans. 

Au-delà du désastre écologique, ce système accroît la faible rentabilité économique des librairies  : trésorerie immobilisée, temps de travail consacré à la préparation et à la gestion des commandes, coût des retours… 

Face à ce constat, l’Association pour l’écologie du livre a initié en 2024 la Trêve des nouveautés, une démarche de recherche-action** avec une vingtaine de libraires de France et de Belgique. Objectif  : créer une respiration grâce à la mise à l’arrêt partiel ou total des achats de nouveautés, et proposer un espace de réflexion collective sur la dépendance de la librairie – et plus largement du secteur du livre – aux flux de nouveautés. 

L’expérimentation menée avec la première cohorte de libraires volontaires a montré des résultats positifs : pas de perte de chiffre d’affaires, meilleur travail des catalogues, valorisation du fonds, discussions riches avec représentants et clients... L’association a donc lancé une deuxième vague au printemps 2025. Cette année, en plus des libraires, les bibliothécaires sont également invités à se joindre à la trêve. 

Des webinaires d’information, un « mode d’emploi » et des indicateurs de suivi ont été proposés aux participants ; un bilan sera publié en juin 2025. Si cette expérimentation suscite parfois craintes et interrogations, notons que du côté des éditeurs aussi, la question du ralentissement commence à se poser. Larousse (groupe Hachette) a annoncé en 2023 expérimenter une réduction de 20 % du nombre de nouveaux titres publiés sur un semestre. Les éditions du Tripode (indépendantes) ont décidé début 2024 de suspendre pendant quelques semaines le marathon des nouveautés, pour prendre le temps du repos et de la réflexion. 

Abonnement en librairie : vers l’économie du partage

Les études disponibles le montrent clairement : l’impact principal de l’industrie du livre réside dans la fabrication des ouvrages. Réduire l’impact environnemental nécessite donc de fabriquer mieux, mais surtout de fabriquer moins. Une expérimentation, coordonnée par le Bureau des Acclimatations, rassemble un collectif de trois librairies indépendantes et dix éditeurs (groupes et indépendants) autour d’un projet de location de livres en librairie, sous forme d’abonnement annuel.

Fabriquer moins, vendre mieux, lire plus : c’est le triple objectif poursuivi. L’abonnement permet d’organiser la lecture du même livre par plusieurs personnes, tout en créant de la valeur économique afin de mieux rémunérer tous les acteurs, avec une attention particulière aux autrices et auteurs. Enfin, une offre d’abonnement permet de rendre la lecture plus accessible, en baissant son coût. 

Concrètement, les librairies participant à l’expérimentation proposent un assortiment réduit : 20 à 50 titres, sélectionnés avec soin par les libraires, en partenariat avec les maisons d’édition associées et avec l’accord des autrices et auteurs. Chaque abonné peut emprunter un seul livre à la fois, pour une durée libre. À la fin de l’abonnement, il est possible de conserver un des titres de la sélection.

Pour respecter la loi sur le prix unique du livre, ce sont les éditeurs qui fixent le prix unique de location de chaque livre. Éditeurs et auteurs perçoivent une partie du chiffre d’affaires généré par les abonnements. Cette offre se veut ainsi une alternative au développement du livre d’occasion, plus intéressante économiquement pour l’ensemble de la chaîne.

En mettant en avant la sélection des libraires, l’abonnement permet également de soutenir la bibliodiversité  : édition indépendante, premiers romans, autrices et auteurs émergents, livres atypiques… Bref, il s’agit de fabriquer moins de livres, et plus de lecture !

Expérimentations collectives © Julien Revenu

Relocalisation de la fabrication du livre «  complexe  »  : booster la créativité Made in France

Il est aujourd’hui possible d’imprimer quasiment tous les livres en France ou en Europe occidentale : même si le prix est parfois élevé, le savoir-faire et les machines existent. Mais pour certains livres dont la fabrication est complexe, comprenant du pop-up, des inclusions de textile, des systèmes animés avec des flaps/rabats… il n’y a pas vraiment d’alternative à la fabrication en Chine.

À l’initiative de Bayard, quelques éditeurs, et leurs autrices et auteurs, cherchent à imaginer des solutions possibles. En décembre 2024, un « cabinet de curiosités » de l’impression complexe Made in France a rassemblé une dizaine d’imprimeurs et façonniers français, travaillant pour des secteurs divers (luxe, packaging…), pour leur faire rencontrer des maisons d’édition et des créatrices et créateurs, qui ont ainsi découvert des savoir-faire français. La prochaine étape consiste en l’organisation de journées de recherche et développement pour inventer une nouvelle génération de livres animés. Parmi les pistes explorées  : des livres complexes « do-it-yourself », qui surfent sur la vague de la mode du papercraft. Autre idée au programme : organiser des résidences de création d’illustratrices et illustrateurs dans les ateliers d’imprimeurs français. Ainsi, les contraintes techniques pourront être intégrées au projet le plus tôt possible dans la phase de conception.

Accompagnement collectif : coopérer pour se transformer

Dans les trois exemples ci-dessus, les démarches expérimentales sont menées par des collectifs  : éditeurs ou libraires habituellement concurrents, métiers qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble… c’est de ces démarches collectives que peuvent émerger des transformations répondant au caractère systémique de la crise écologique. C’est dans cet esprit que le Bureau des Acclimatations a imaginé un dispositif d’accompagnement collectif, proposé au second semestre 2025 à dix éditeurs de toutes tailles, avec le soutien de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Des séminaires communs permettront aux directions des maisons d’édition de travailler ensemble sur les enjeux de fabrication, de coopération avec leurs parties prenantes, d’évolution de leurs modèles économiques, etc.