ArtStocK, la recyclerie culturelle et citoyenne pleine de ressources

Entretien avec Yann Domenge, auteur, metteur en scène et co-fondateur d’ArtStocK par Pascal Alquier, journaliste.

Photo : Sphinx stocké à l’extérieur du site de Blajan © ArtStocK

Yann Domenge © ArtStocK
Pascal Alquier © Jean-Jacques Ader

 

 

 
 

 

*ArtStocK a notamment travaillé avec Les Correspondances de Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence pour la scénographie et avec le festival BD Colomiers en Haute-Garonne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

** Subventions notamment de la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.

En Occitanie, sur un modèle économique inédit et efficient, l’association ArtStocK recycle décors et accessoires issus de l’univers culturel et du secteur événementiel. À la clef, la concrétisation d’un cercle vertueux, des économies substantielles pour les artistes, artisans, particuliers, et la création d’emplois dans le cadre de l’économie circulaire. Entretien avec Yann Domenge, auteur, metteur en scène et co-fondateur d’ArtStocK.

Souvent, les (très) bonnes idées naissent dans des lieux incongrus. Yann Domenge, inventeur avec quatre amis du concept de recyclerie et ressourcerie culturelle l’affirme avec le sourire : « Historiquement, ArtStocK, association de loi 1901, a été créée dans une cuisine de citoyens à Marseille en 2009. Nous étions cinq personnes impliquées dans le milieu du spectacle, un chef machiniste du théâtre des Champs-Élysées, un technicien de la Maison du Japon à Paris, deux comédiens et moi metteur en scène. Et nous avons confronté nos problématiques. Pour ma part, c’était celle de créer un spectacle avec très peu de moyens à l’époque. Inconnu alors, je payais du bois plutôt que des salaires et mes amis voyaient des décors partir à la poubelle. »

Ce club des cinq improvisé couche alors noir sur blanc « un process qui proposait aux acteurs culturels parisiens d’avoir une autre alternative que celle de jeter  ». C’est ainsi que s’ouvre le premier entrepôt à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), et que surviennent les premières opérations avec le théâtre des Champs-Élysées et le Stade de France. Car le secteur événementiel, dont les salons du livre et de la BD* font partie, fournit aussi sa part de décors et matériaux réutilisables. Et dès 2010, des locaux de 800 m2 ouverts à Trilport (Seine-et-Marne) permettent d’impulser une activité bénévole avec le soutien d’institutionnels.

L’initiative est inédite. « On était dans l’innovation mais nous avons vite été à l’étroit et le modèle économique ne fonctionnait pas en région parisienne. Donc nous avons profité de l’action pour le redressement productif menée par le gouvernement en 2014 pour investir une ancienne tuilerie en région Occitanie, à Blajan dans le Comminges en Haute-Garonne.  » Et si 60  % du gisement provient de la région parisienne, la notion de décentralisation signifie toutefois beaucoup pour Yann Domenge et ses compères : « La matière ne doit pas être cantonnée à Paris pour Paris, la décentralisation a du sens dans ma tête donc on a tout de suite compris qu’il ne fallait pas vendre qu’au monde culturel. Les matières pouvaient intéresser le plus grand nombre.  Et en ramenant la démarche à un tasseau de bois à qui nous faisons faire 762  km précisément, ce sera toujours beaucoup moins que les 15 000 km qu’il a accomplis pour arriver jusqu’à Paris. Donc, grâce à ArtStocK ce tasseau ne sera pas enfoui ou brûlé, mais
réemployé. »

Réaménagement des matériaux et objets stockés sur le site de Blajan © ArtStocK


Une économie circulaire vertueuse

Au mitan des années 2010, le Préfet de la région Occitanie en soutien, voilà l’affaire impulsée avec de nouvelles perspectives notamment liées à l’extension des locaux de 800 à 3 000 m2 à Saint-Gaudens. « Nous avons inventé le process lié à la collecte et au stockage des matières, poursuit Yann Domenge, qui passe par le service payant de collecte équivalant au prix de la benne et nous intervenons par le biais de gros semi-remorques de 80 m3 pour réceptionner la matière auprès des théâtres parisiens ou en région Occitanie, comme le théâtre du Capitole à Toulouse et d’autres à Montpellier. Nous la mettons ensuite en vente, si possible directement sinon après transformation dans nos ateliers en fabriquant du mobilier, des accessoires et même d’autres décors pour d’autres compagnies théâtrales. Tous ont bien compris que la matière est moins chère et dans un bon état. Et les particuliers ainsi que les entrepreneurs et artisans ont également perçu l’intérêt de la démarche. »

Opération de collecte de décor au théâtre du Capitole à Toulouse et déchargement à Blajan, 20 mai 2022 © ArtStocK


Les éléments démontés sont ensuite acheminés vers la plateforme logistique où un valoriste établit un bordereau précis de toute la collecte. « On trie cette matière, on la mesure, on la pèse, on l’oriente ensuite dans une zone de vente ou de stockage ou de transformation. Le bordereau nous permet de gérer nos stocks et de la mettre en vente. Il permet également au client de justifier de la vente de 5-6 tonnes en moyenne de matériaux et non de leur enterrement.  » Le tout étant ensuite visible et achetable dans l’ÉcoBoutik de Saint-Gaudens qui offre 2 000 m2 supplémentaires et, depuis l’an passé, le site d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), 1 000 m2 en sus.

Les professionnels comme le grand public peuvent, à leur guise, déambuler dans ces locaux et dénicher des objets rares, du métal, du tissu, du bois, des idées, à moindre coût. « Nous avons atteint le million de chiffre d’affaires et nous recevons moins de 10  % de subventions** qui servent essentiellement à investir. » Le modèle économique s’équilibre. « Nous sommes dans la dynamique de l’économie circulaire. Nous faisons circuler la matière en créant de l’économie donc une valeur ajoutée. Ainsi, l’an passé nous avons mis en place un atelier de couture, embauché une éducatrice technique et un jeune en situation de handicap. Nous employons 20 personnes dont 17 équivalents temps plein. Donc, notre rôle passe aussi par l’accompagnement social, l’insertion professionnelle qui permettent de donner accès à de nouveaux métiers à des gens en situation de fragilité. »

Mobilier mis à la vente à l’ÉcoBoutik de Saint-Gaudens © ArtStocK


Un modèle qui essaime

La fragilité et le ralentissement de l’activité provoqués par la pandémie en 2020 ont toutefois permis de nourrir la réflexion et la création du RESSAC, Réseau national des ressourceries artistiques et culturelles. « Plusieurs ressourceries ont émergé ces cinq dernières années, l’historique demeurant la Réserve des arts à Paris, née quasiment en même temps que nous mais qui était plus axée sur la mode, le cuir, et pas sur la scénographie. Notre objectif avoué est de faire tomber les barrières, de supprimer les freins quand on monte des projets dans des territoires. »

Et là aussi ça fonctionne ! « Ça a changé les pratiques. Notamment quand on récupère la matière. La récupération a changé parce que les professionnels ont compris qu’on pouvait la réemployer. Donc quand ils construisent un décor, ils pensent la construction en même temps que la déconstruction. » La colle a été remplacée par des vis pour éviter de casser le décor, les matières ont favorisé l’adaptation des métiers. « Aujourd’hui on a un menuisier, un ferronnier, des couturiers, donc des savoir-faire classiques, qui se sont adaptés à la matière du spectacle vivant pour de la création ou même de la fabrication de décors pour des compagnies théâtrales ou de danse. »

L’efficience de la démarche, le cercle vertueux concrétisé comblent d’aise Yann Domenge et l’équipe d’ArtStocK : « L’Occitanie doit être fière parce que c’est vraiment un projet d’innovation sociale dont l’initiative est le seul modèle français viable économiquement qui intéresse des partenaires nationaux et internationaux en Espagne, Italie, Luxembourg, Suisse. Je suis souvent sollicité pour expliquer notre méthodologie et, même si j’ai peu de temps du fait de mon métier de metteur en scène, je m’applique à répondre. L’idée essaime… » Celle, également, de la transmission des rênes de l’association à des jeunes et de la perpétuation de cette idée frappée au coin du bon sens, de ce mécanisme qui fonctionne à plein, de cette énergie activée génératrice d’économies, d’emplois et de moindre pollution.