Le livre, à la baguette

Entretien avec l'écrivain Nourdine Bara, par Pascal Alquier, journaliste

« Des livres et des baguettes » © Pages et Images Production

Dans le quartier de la Paillade à Montpellier, à l’initiative de l’auteur Nourdine Bara,les habitants se retrouvent pour parler littérature à la boulangerie Le Pain d’Or ! Grâce à « Dîtes-le avec un livre ! », l’opportunité est ainsi offerte de métisser les publics, de partager des coups de cœur et de favoriser l’échange. Rencontre avec Nourdine Bara.

Quel objectif poursuivez-vous avec « Dîtes-le avec un livre » ?

Depuis 11 ans j’organise des agoras dans l’espace public et mon grand leitmotiv est de provoquer la rencontre entre un public venu du centre-ville et celui du quartier. Et c’est vrai que la culture aidant, un livre à la main comme expression de la plus belle considération vis-à-vis de ceux à qui on vient s’adresser, rend la chose plus légère parce qu’il ne s’agit pas là, de les rassembler autour de questions, d’enjeux trop sérieux, trop sociétaux, sous le mode devenu quasi exclusif du débat. Je cherchais une manière de conduire les uns vers les autres, affranchis de ces questions qui nous travaillent, d’inspiration trop « médiatique ». Il s’agit, ensemble, de ne pas se laisser trop impressionner par l’actualité, ne pas lui laisser nous dicter nos humeurs du jour.

Nourdine Bara
Nourdine Bara © DR 

Je trouve le livre assez idéal quand il s’agit de provoquer une rencontre qui ressemble aussi à des « présentations », qu’il ne faut pas rechigner à vivre tant l’on en vient à douter de qui est « l’autre », ce « qui est l’autre » n’est plus une chose si entendue que ça.Il me semble qu’avant d’aller aborder des questions plus sensibles, autrement plus politiques et polémiques, il n’est quand même pas bête d’abord de mettre sur la table ce qu’on a de plus commun, quelque chose qui fait notre très commune condition humaine. Des choses somme toute banales, que l’autre partage, mais qu’on peut véritablement perdre de vue comme le fait d’être parent, d’être amoureux des chats, de tous cultiver dans notre vie un espace pour accueillir une forme ou une autre de poésie parce qu’on en a tous besoin et que chacun a la sienne et qu’elle façonne les caractères, les sensibilités. Il me semble qu’il n’y a rien de tel que le livre pour l’exposer à l’autre et la littérature a ça de fantastique qu’elle se présente à la fois comme une leçon de choses, de vie et un don dans un même élan. Il y a quelque chose de généreux chez quelqu’un qui, un livre à la main, vient vous raconter son ressenti.

Dîtes-le avec un livre ! © Pages et Images production 

Justement, quel rapport au livre les intervenants à vos rencontres entretiennent-ils ?

Ils sont nombreux ces habitants à avoir plaidé pour une importance quasi vitale, décisive, qu’un livre peut avoir dans une vie parce que, contrairement à des gens qui lisent beaucoup, ils étaient souvent — et c’est vraiment beau d’assister à ça — très « premier degré » dans un exercice d’exposé d’ouvrage. Je pense à ces copains du quartier qui sont venus, dont Ali, ce moniteur d’auto-école qui était là avec son code de la route et c’est incroyable ce qu’il nous a dit sur ce livre !

Il y a aussi eu Hakim, mon meilleur ami, qui est venu à ma grande surprise faire l’éloge d’Oscar Wilde et lire Le Portrait de Dorian Gray. Et aussi Jalal, un autre copain qui lit peu et qui avait amené Indignez-vous ! de Stéphane Hessel qui lui a donné l’envie de s’impliquer et de créer le comité de quartier à La Paillade. Et puis aussi Nadia qui, au bord des larmes, est venue parler du dictionnaire parce qu’elle trouve dramatique de savoir une langue et les mots méprisés, en tout cas dans les quartiers populaires, alors que ce sont peut-être nos seules armes.

Le partage du plaisir de lecture ne se double-t-il pas d’un autre sentiment ?

Bien sûr ! Quoiqu’on ait à dire, venir le formuler avec un livre à la main valorisera toujours un peu celle ou celui qui s’y essaie ! Et avec ces agoras et rencontres, j’ai ce souci, vis-à-vis de ce quartier qui est le mien, de ne pas conduire ces habitants dans quelque chose qui pourrait entamer, atteindre encore un peu plus une dignité, un amour-propre qui sont déjà mis à mal. Je nous souhaite sous notre plus beau jour. Et le livre confère à tous ceux qui viennent, de l’auditeur au participant, une dignité de groupe qui force la fraternité.

Je ne connais rien de mieux que des livres pour mettre autant de gens dans une assemblée dans cette disposition-là, qui autorise l’aveu de sentiments que l’on consent toujours moins à livrer, passage obligé pourtant pour mettre à mal quelques dangereux fantasmes que l’on nourrit sur les intentions de l’autre. Le livre a cela de fabuleux ! Et d’ailleurs, je suis vraiment ravi que tous ces gens qui reviennent très régulièrement du centre-ville se disent et finissent par penser que, non seulement leur goût pour la littérature sera comblé, mais qu’en plus ils y trouveront cette chose que les habitants du quartier populaire de La Paillade livrent avec une grande facilité, à savoir une écoute, de la considération, de la simplicité dans l’abord, sans jamais faire l’économie de leurs sentiments.

 Dîtes-le avec un livre ! © Pages et Images production 

La boulangerie qui sert de lieu d’échange littéraire se situe d’ailleurs hors du circuit des lieux habituellement consacrés à la littérature, comment l’avez-vous choisie ?
C’est vrai que ce lieu amène quelque chose d’insolite à la rencontre. Pourtant, l’idée d’aller dans cette boulangerie ne consistait pas à provoquer l’étonnement ou le dépaysement, c’était vraiment un repli tactique. Il s’agissait pour nous de trouver une possibilité de continuer les rencontres même en hiver parce que c’est compliqué d’investir la place lorsqu’il fait froid. Je trouvais dommage d’arrêter l’initiative alors que quelque chose prenait, que les gens du quartier et ceux venus du centre-ville manifestaient leur désir de continuer de se voir et, à quelques pas de l’endroit où j’organise les agoras il y avait cette boulangerie dans le centre commercial Saint-Paul. Son propriétaire, Ahmed El Menji, est un chouette garçon qui voyait ce qui se passait sur la place et à chaque fois que je venais acheter le pain, il me racontait son goût du théâtre, de la littérature et il m’a dit : « Il faudrait un jour que tu rentres, tu es le bienvenu. » On est entrés !

Dîtes-le avec un livre ! © Pages et Images production

> www.nourdine-bara.c.la

> À voir
Des livres et des baguettes. Documentaire de Laure Pradal
(France, 2020, 52’, coproduction Pages & Images / France 3 Occitanie)
Aidé par la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée en partenariat avec le CNC

À la boulangerie snack « Le pain d’or » dans le quartier de la Mosson à Montpellier, deux fois par mois la culture s’invite entre les baguettes et les canettes de coca, on cause de Monte Cristo, Oscar Wilde, Saint Exupéry, Tolstoï… Ils s’appellent Hassan, Latzeg, Sonia, Hakim, Julien, ils sont clients de la boulangerie et le temps d’une soirée, chacun a dix minutes pour parler de leurs romans préférés, de l’impact qu’ils ont eu sur leur vie, leur parcours.

.Ce film a été présenté à l'ouverture du festival Cinemed, en octobre 2020 à Montpellier.