La ville à livre ouvert

Article d'Anne Guiot, directrice de Karwan, Marseille

« Cadavres Exquis Métropolitains » à Meyrargues (2017) 
© Germain Prévost alias Ipin

Genèse

Au début était une colère : la rue centrale d’un des quartiers Nord de Marseille éventré pour l’aménagement nécessaire à la circulation d’un Bus à Haut Niveau de Service (BHNS). Le service était plus que bienvenu, étant donné l’isolement qui caractérise ces quartiers mais la manière de ne rien faire pour l’accompagner était désolante : un récit raté que j’ai eu besoin de raconter.
Avec Germain Prévost alias Ipin (artiste urbain contextuel et ami) et l’équipe de Karwan, nous avons suivi le tracé de ce futur bus, d’un terminus à l’autre. C’est là que la vision de La ville à livre ouvert s’est imposée.

Nous traversions des espaces urbains et des quartiers aux paysages très différenciés, idem pour la population, les commerces, les architectures et même les publicités : un vrai roman dont on pouvait supposer que chacun l’écrivît à sa façon, suivant son identité et son humeur. J’avais l’impression d’entendre ces possibles récits résonner dans le bus en écho aux sites que nous traversions et aux personnes entrevues aux arrêts. Comment transformer cette révélation en acte artistique public ? Confier à un auteur, une autrice l’écriture d’un de ces possibles récits, le sien, après pratique immersive de ce tracé ; le publier par épisodes dans la presse quotidienne locale et l’illustrer sur les murs et parois qui longeaient la voie de bus.

Le pas était franchi. S’autoriser à regarder les murs et parois d’une ville comme les pages blanches d’un livre qui s’écrit au jour le jour ouvre des perspectives infinies. La ville à livre ouvert est une vision, une évidence, un quotidien de possibles. Dès qu’on s’est autorisé à poser ce regard sur l’activité urbaine (ou rurale) comme une histoire à transposer sur les parois des lieux, un éventail de récits fuse.
Cette vision de La Ville à livre ouvert devint un axe de développement de l’activité de Karwan dans l’espace public. Parmi plusieurs exemples possibles, je choisis de l’illustrer au travers de 2 projets, Roman vu du bus et Cadavres Exquis Métropolitains.

Roman vu du bus

Roman vus du bus (du tram ou du train) est un projet qui explore les transports en commun comme sujet, objet, tracé, moyen de locomotion et creuset d’usages à la fois. Il rend tangible un tracé par la création d’une œuvre romanesque dédiée à celui-ci et par l’illustration de cette œuvre in situ le long dudit tracé.
C’est une invitation faite aux passagers d’une ligne de bus à découvrir, chaque jour pendant environ un mois, le nouvel épisode d’un roman inspiré par cette ligne et à scruter, depuis les fenêtres du véhicule, ses illustrations street art apparaissant, jour après jour, sur les murs longeant la ligne.
C’est aussi l’invention d’une nouvelle forme de convocation dans l’espace public, un roman feuilleton urbain : la presse quotidienne locale diffusant ledit roman par épisodes avec, pour illustrations, les photographies des images encollées le long de la voie et cartographie de leurs emplacements successifs.

Roman vu du bus © Germain Prévost alias Ipin

Karwan a longuement instruit la possibilité d’une réalisation à Bordeaux comme mise en récit de la création de la ligne E d’un BHNS entre Bordeaux et Saint-Aubin-de- Médoc. Jean-Yves Cendrey en eût été l’auteur et Fred l’illustrateur. Mais, à cette heure, la ligne de bus semble n’avoir toujours pas été construite. 

 

Cadavres Exquis Métropolitains à Meyrargues (2017) © Germain Prévost alias Ipin

Cadavres Exquis Métropolitains

2017, appel à projets d’Aix-Marseille-Provence ayant pour but de mettre en réseau des médiathèques de la Métropole et de rendre actives la lecture et la participation du public. Ma formation littéraire eut tôt fait d’associer ces objectifs au jeu surréaliste des cadavres exquis. Dès lors, il s’agissait d’inventer comment  ré-interpréter ce jeu à l’échelle d’un territoire et d’établir le protocole de mise en œuvre de Cadavres exquis métropolitains. Notre projet  fut retenu et nous le réalisâmes avec les médiathèques de Meyrargues, Lançon-de-Provence, Bouc Bel Air, Istres, Gardanne et Marseille.

Le protocole inventé par Karwan consiste en une chaîne de création entre des phrases extraites de livres choisis par des bibliothécaires, un site les mettant en valeur et invitant le public à créer des cadavres exquis à partir de celles-ci, des ateliers   graphiques et littéraires pour peaufiner un cadavre exquis dans chaque médiathèque, enfin la peinture à la main par Karelle Ménine (artiste franco-suisse à l’origine du projet La phrase lors de Mons2015) sur les murs ou aux alentours des médiathèques.
Une 2e édition est depuis 2019 en cours de réalisation, bien que chahutée par le Covid, sur les médiathèques de Rezé, Bouguenais, Carquefou et Nantes.

La ville à livre ouvert recouvre l’invention de protocoles créatifs et transversaux mettant en poétique des items (urbanisme, transport, média, métiers, usages…) caractérisant notre pratique de la ville. C’est une mise en récit du quotidien de la ville sur ses propres murs. Cette mise en situation fertilise de nouveaux rapports à la littérature, à la fois individuels et collectifs.

 


> www.karwan.fr
> www.cadavresexquismetropolitains.fr