Michèle Gazier à Balaruc-les-bains

Les aventures de Simon aux thermes de Balaruc nous sont racontées sous forme de récit épistolaire, écrit à destination de sa mamita mia et de sa douce. Allusions historiques et douceur méditerranéenne nous bercent au fil des jours qui passent.

Balaruc-les-Bains, maritime et populaire

Implantée sur une presqu’île du bassin de Thau, Balaruc-les-Bains est la seule station thermale de la Méditerranée. Pour soigner les curistes, elle dispose de plusieurs sources thermales ainsi que des limons puisés dans le bassin et utilisés sous forme de boues. L’activité thermale y est présente depuis l’Antiquité romaine.
Établissement thermal de Balaruc-les-Bains © Darnaud Antoine - Région Occitanie
Au XVIème siècle, le célèbre médecin montpelliérain Nicolas Dortoman publie le premier document scientifique sur les eaux de Balaruc. En 1712 un hôpital thermal est édifié pour accueillir les malades. L’établissement qui reçoit Louis-Bonaparte en 1803 est agrandi et embelli au XIXème siècle. Puis, dans la seconde moitié du XXème siècle, la municipalité fait construire deux établissements thermaux faisant ainsi de Balaruc la station qui accueille le plus de curistes en France.
Balaruc-les-Bains - L'Établissement Thermal © Garançon (éditeur). 1907 ; Document conservé aux Archives départementales de l’Hérault, sous la cote 2 Fi CP 3415

L'autrice

Ecrivaine, critique littéraire à Libération puis à Télérama et traductrice, Michèle Gazier ouvre une collection BD aux éditions Naïve en 2011.
Née à Béziers en 1946, elle possède une licence et maitrise d'espagnol ainsi qu'un capes d'espagnol. Elle a enseigné la langue en lycée et collège de 1970 à 1983. Elle a été chroniqueur littéraire a Télérama de 1983 à 2006.
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L'histoire

? Balaruc-les-Bains
3 juin 1969

Ma douce,
Je sais combien tu appréhendais ce moment où je regagnerais la France et ce Midi dont tu crains qu’il ne me vole à toi. Je ne fuis rien ni personne, et surtout pas toi, mon amour, mais depuis l’automne 1966 où j’ai suivi les cours de médecine tropicale à l’université de Montpellier, l’idée de retrouver ce lieu est devenue une sorte d’obsession. Le Mexique est notre pays, celui où l’histoire violente de l’Europe a conduit nos familles respectives. Mais c’est de ce coin de France, le Languedoc, que sont partis mes ancêtres, tous médecins de père en fils, tous diplômés de la faculté de Montpellier, tous attachés à cette médecine spéciale qu’est le thermalisme. Octave, mon bisaïeul, a soutenu une thèse savante sur les eaux et les boues curatives de Balaruc-les-Bains, où je suis arrivé hier pour y remplacer pendant deux mois un praticien souffrant.
Face à l’étang de Thau aux eaux violettes ridées par le vent du soir, je t’embrasse comme je t’aime.
Simon


? Balaruc-les-Bains
6 juin 1969

Mamita mia,
Quelle joie, maman, de t’écrire de Balaruc où l’abuelo a passé son enfance ! Les parcs à huîtres sont toujours là, traits noirs sur l’étang aux couleurs fuyantes. La station a dû changer depuis le temps où l’arrière-grand-père y était l’un des médecins référents. Je me blottis dans ses marques et je pense à toi.
Je n’ai pas encore pris contact avec les soignants. Plusieurs futurs curistes ont pris rendez-vous et je les recevrai dès demain. Les pathologies qu’on soigne ici attirent un public assez large dont les âges varient entre cinquante et quatre-vingts ans.
De la fenêtre du cabinet, je vois le mont Saint-Clair et Sète où, m’a-t-on dit, vit toujours Georges Brassens. Quand je m’arrache à la splendeur du paysage, je plonge dans la plus belle bibliothèque thermaliste qui soit.
La thèse d’Octave y trône en bonne place à côté d’une édition ancienne du livre de Nicolas Dortoman qui fascinait tant l’abuelo.
Je lis, je te dis, je t’embrasse.
Simon


? Balaruc, 15 juin 1969

Ma Lucia,
Ne t’inquiète pas de ma solitude, elle m’est bénéfique après les longues journées à recevoir les patients. Il ne faut rien négliger des pathologies qu’ils décrivent, souvent avec maladresse, et qui révèlent sans qu’ils le sachent des problèmes que la cure ne saurait résoudre. Les boues sont une thérapie mais elles ne sont pas miraculeuses. Au mieux, elles peuvent apaiser les douleurs articulaires ou celles, plus perfides, de l’artérite. Mais comment dire à ces candidats curistes qu’une hygiène alimentaire est indispensable pour accompagner la cure, pour en renforcer les bienfaits ?
Je suis allé visiter les salles de soin. Il y règne une forme de silence presque religieux. Je n’ai pas osé demander à faire la série de soins proposés tant ma présence semblait troubler le personnel peu habitué à recevoir un médecin. Tu détesterais l’odeur fade de boue que j’ai reçue en héritage, dit ma mère.
Pour toi, mon amour, juste le bleu du ciel et le parfum des lavandes.


Mamita triste,
Un peu d’histoire pour te distraire.
Savais-tu que les thermes de Balaruc datent des romains et qu’ils étaient placés sous la protection de Neptune et des nymphes ? Hélas, peu de nymphes dans mes consultations. Quant aux Neptune, de noueux vignerons et d’arthritiques pêcheurs de Palavas. Rabelais, médecin lui-même, n’a pas manqué de citer Balaruc dans son Pantagruel. S’interrogeant sur la chaleur des eaux thermales, il conclut, féroce et joyeux, qu’elles sont sans doute issues « par une chaulde pisse du bon Pantagruel ». Quelques années après, en 1579, le très sérieux et parpaillot professeur Nicolas Dortoman s’est penché doctement sur ces boues et ces eaux que je prescris à longueur de journée. Son traité a fait autorité et a fondé scientifiquement la valeur curative du thermalisme. Même madame de Sévigné s’est esbaudie devant les miracles des eaux d’ici sur la goutte de son gendre. Donc pas de soucis. Je suis bien à ma place entre médecine, littérature et huîtres à volonté.
Besos.


? Lucia mia,
Que te dire des patients qui défilent dans mon cabinet ? Aucune tentation, je te l’assure. Tu n’as pas à t’inquiéter.
Et après ? Pas de soirées arrosées ni de fêtes dansantes. Je savoure fruits de mer et solitude et me nourris des bonheurs de la bibliothèque et de la beauté du lieu. Il m’arrive de rire aux larmes en lisant le Journal des Platter, deux frères bâlois amis de Montaigne, qui ont étudié la médecine à Montpellier au XVIe siècle et ont écrit ensemble un journal savoureux. Lis plutôt : « Balaruc est une petite ville murée. (…) Le commerce y est nul. (…) Cela ne nous empêcha pas d’y trouver grande affluence et beau monde. » Puis à propos des eaux : « Elles sont chaudes, fortement salées et d’un goût désagréable. » Effet immédiat : l’eau agit promptement et tout ce beau monde qui a la colique va « arquebuser en plein champ et à qui mieux mieux. »
Rassure-toi, plus personne ne boit cette eau dont l’usage est externe. Tu me manques et, la nuit, je te rêve en Vénus de Thau.
Simon


? J-8
Querida
À défaut d’obtenir ce teint cuivré des curistes qui fréquentent autant les plages de la Méditerranée que les salles de soin, je suis devenu un rat de bibliothèque. Court voyage à Montpellier, jeudi, mon jour de repos, et promenade agréable au Jardin botanique puis débauche de lecture à la bibliothèque de la faculté, à laquelle j’ai pu avoir accès par recommandation. J’y ai retrouvé une édition d’époque, en latin - dur à lire ! -, de Nicolas Dortoman assortie d’une thèse récente truffée de citations traduites. Dortoman voyait loin et juste. Écoute ça : « Les eaux de Balaruc peuvent guérir des maladies mais aussi aider à maintenir la santé. » Et cette approche moderne de la balnéothérapie m’a confirmé dans mon choix d’exercer une médecine naturelle et douce. Il y a quelque chose de magique et de primitif dans ce mélange curatif d’eau et de terre. N’est-ce pas de la boue que la Bible fait naître l’homme ? La boue, c’est la vie.
Et la vie, notre amour.


Mamita mia,
Comme tu aimerais la douceur du climat, le bleu profond des ciels et ce parfum si spécial de l’étang quand la chaleur du jour décline et que s’exacerbent les effluves tièdes et corsés de l’eau salée prisonnière. L’étang ne sent pas bon ; comme l’eau des thermes, il sent fort. Toi que ne rebute pas l’odeur lourde des écuries, toi qui aimais monter à cru, tu serais chez toi ici. Pas dans mon cabinet propret où défilent les postulants curistes dont je sonde le cœur et les reins (sacrée expression !), mais le soir au bord de l’eau non loin des parcs à huîtres, et plus encore dans les salles désertées des thermes où je me rends désormais après la fermeture au public. Je m’y offre la détente d’une baignoire chaude d’eau boueuse qui dissout fatigues du jour et mal du pays. La responsable des soins, madame Éva, une dame à chignon, a fini par m’accepter à cette heure indue. Ici, comme ailleurs, le médecin est roi. Mais un roi nu qui éteint la lumière en partant.
Mil besos.