ESCALES EN PRESSE ANCIENNE : LE TARN-ET-GARONNE

La Croix de Tarn-et-Garonne (juin 1892 – août 1944)

Publié le 29/04/2024

Un journal « catholique et français » en Tarn-et-Garonne

Une du n°1, 26 juin 1892

À son tour le 26 juin 1892, le Tarn-et-Garonne voit naître son édition départementale de La Croix, à l’initiative de Léonce-Jean Prunet, imprimeur rue des Carmes à Montauban. Chaque dimanche, cet hebdomadaire vient compléter la parution dominicale du quotidien catholique parisien, dont elle reprend la maquette avec son Christ en croix en Une du journal. Dans son premier numéro, tiré à 1.500 exemplaires, La Croix de Tarn-et-Garonne se définit comme un  « journal exclusivement et fermement catholique dévoué à Dieu et à la Patrie », avec pour devise « Aimer les hommes, immoler l’erreur ».

La Croix de Tarn-et-Garonne propose à ses lecteurs des contenus nationaux, le plus souvent inspirés par l’édition parisienne, et une « Chronique locale » qui informe sur la vie spirituelle et politique départementale. Comme le précisera 50 ans plus tard l’éditorial du numéro anniversaire du 27 juin 1942, La Croix de Tarn-et-Garonne « n’entendait pas se limiter au chapitre des nouvelles, elle interviendrait à sa manière dans les luttes civiques […] L’originalité de son programme consistait à envisager toutes questions du point de vue catholique et français et à rallier sur le terrain religieux et national les esprits divisés par la politique de parti ».

Une du n°2590, 27 juin 1942

Ainsi pendant plusieurs années la ligne éditoriale est nettement et ouvertement hostiles aux juifs, aux protestants, aux francs-maçons. Les édiles radicaux et socialistes du département, tout comme le grand quotidien régional La Dépêche et son équipe locale y sont régulièrement décriés.  La plume du fondateur, qui signe sous le pseudonyme de « Jean de Gasseras », est bien souvent acerbe et virulente.

En tant que journal d’opinion, l’hebdomadaire catholique prend parti avec force lors des scrutins successifs qui jalonnent les premières décennies de son existence. Les candidats qui défendent les idées catholiques aux différentes élections locales reçoivent un soutien appuyé et l’hebdomadaire invite ouvertement ses lecteurs à rejeter le vote en faveur des candidats de la gauche laïque, dont les programmes et les actes sont dénoncés et férocement critiqués.

À la disparition de son fondateur en Mai 1908, son fils Jules Prunet prend les rênes du journal. Il restera le gérant de l’hebdomadaire jusqu’en novembre 1941, date à laquelle son gendre, Louis Vidal, lui succèdera. Si la ligne éditoriale dans l’entre-deux-guerres reste résolument fidèle à la ferveur de l’engagement des débuts, le ton se fait progressivement moins virulent et plus nuancé dans la critique des adversaires.

Comme l’ensemble des journaux qui ont continué de paraître après le 10 juillet 1940, La Croix de Tarn-et-Garonne est interdit à la Libération. Il est remplacé par L’Éclair de Tarn-et-Garonne en octobre 1944, nouvel hebdomadaire catholique désormais placé sous la direction du chanoine Bourdeau et du gérant Jean Costes, pharmacien à Montauban.

Témoin de la vie catholique dans le département pendant un peu plus de cinquante ans, La Croix de Tarn-et-Garonne mériterait une étude approfondie pour mieux appréhender un courant de pensée prépondérant à son époque. Plus largement, une analyse détaillée et comparée permettrait aussi de faire avancer la connaissance sur un pan de l'histoire sociétale et politique du Tarn-et-Garonne aujourd'hui encore mal connue.

Focus sur l’élection législative de 1902

Une du n° 515, 17 avril 1902

Élection de lutte, qui met aux prises deux coalitions issues du reclassement des partis consécutif a l'affaire Dreyfus, les législatives de 1902 sont essentiellement placées sur le terrain religieux. Galvanisée par la politique anticléricale du gouvernement et de ses alliés, l'ardeur combative de la droite catholique est décuplée. Dans cette opposition acharnée, La Croix de Tarn-et-Garonne n'est pas en reste et montre combien c’est un journal pleinement engagé au service de la cause.

Preuve de son implication exacerbée, il paraît exceptionnellement deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, durant les trois semaines de campagne électorale. Le journal fait ouvertement campagne pour les candidats « catholiques et républicains libéraux » qui se présentent dans les trois arrondissements du département. Dans l'arrondissement de Montauban, où le candidat sortant Adrien Prax-Paris, ancien maire bonapartiste du chef-lieu de département est opposé au second tour au nouveau maire radical-socialiste Charles Capéran, la bataille est rude et serrée.

Page 2 du n° 549, 18 mai 1902


Pour La Croix, Charles Capéran est le « candidat du ministère de la trahison, des juifs, des francs-maçons et des dreyfusards » qui souhaite « la destruction totale de la religion catholique », alors qu'Adrien Prax-Paris est celui qui « depuis trente-cinq ans, défend les intérêts religieux autant que les intérêts sociaux en luttant contre un ministère qui menace gravement les uns et les autres ».

Au matin du second tour, le dimanche 11 mai, un « Suprême Appel » est lancé aux « catholiques de l'arrondissement de Montauban » en Une du journal pour voter Prax-Paris et dénoncer une nouvelle fois les « misérables compromissions » de Capéran. Une invitation à la surveillance des opérations de scrutin est lancée à ses lecteurs, mais La Croix du Tarn-et-Garonne en est convaincue : « mathématiquement M. Prax-Paris doit être dimanche le député élu de l'arrondissement de Montauban ». Mais au soir du scrutin, les résultats sont si serrés qu'ils ne peuvent être proclamés et sont renvoyés à l'examen d'une commission préfectorale, laquelle annonce le mercredi suivant la victoire de Charles Capéran au bénéfice d'une voix !
 

Extrait de la Une du n° 2502, 6 octobre 1940

Ce résultat longuement commenté dans l'édition suivante est férocement contesté et qualifié de vol : « M. Prax-Paris tombe, victime du vol le plus manifeste, le plus cynique, le plus odieux ». Un homme est particulièrement mis en cause : le préfet Abraham Schrameck, issu d’une famille juive originaire d’Alsace, en poste à Montauban depuis 1900. Les colonnes de l'hebdomadaire catholique multiplie les écrits antisémites à l'égard du « préfet Abraham » ou du « juif », accusé de « maquignonnage électoral ». Jusqu'à son départ vers d'autres fonctions en novembre 1906, il sera critiqué et villipendé sur fond récurrent d'antisémitisme et d'antimaçonnisme. L’aversion à l’égard de ce haut-fonctionnaire ne cessera vraiment jamais et se manifestera régulièrement dans l’hebdomadaire au fil de ses apparitions dans l’actualité nationale… jusqu’à ce jour d’octobre 1940, où La Croix de Tarn-et-Garonne, fervent soutien du maréchal Pétain, se réjouira de son « internement administratif » par le gouvernement de Vichy et quelques mois plus tard de sa déchéance de son mandat de sénateur.

Quant à Charles Capéran, il est qualifié « d'intrus » et son siège à la Chambre est dit « usurpé ». Durant les quatre années de son mandat, lorsque l'hebdomadaire s'en fera l'écho -évidemment défavorable- il sera régulièrement désigné comme « le faux député ». Réélu en 1906, il sera finalement battu lors de l'élection de 1910... pour le plus grand plaisir de La Croix qui titrera sur la « Victoire de la Liberté ».

À retrouver dans Gallica !

Ce titre est disponible dans Gallica, bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France et de ses partenaires. Il a été numérisé à partir de la collection des Archives départementales de Tarn-et-Garonne, dans le cadre du plan régional du numérisation de la presse ancienne locale et régionale, porté par le Pôle associé régional Occitanie.